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Premier de bordée

Portrait Jean-Luc Wertenschlag

Premier de bordée

Premier de cordée bordélique et infatigable sherpa des contre-cultures bollwerkiennes, Jean-Luc Wertenschlag n’aime rien tant qu’inoculer des idées alternatives et connecter des gens autour de projets. Son but, changer le monde depuis Mulhouse – rien que ça – à condition de ne pas tomber dans la routine. Et de garder trois longueurs d’avance sur les institutions.

Le Zorro associatif c’est lui, qui signe d’un Z qui veut dire W. À la ville comme à la campagne, Jean-Luc Wertenschlag traverse le monde en coopérateur désintéressé comme une terre à défricher puis à transmettre. Là où d’autres se résignent et pensent que tout a été fait, il « plante des graines à droite à gauche, puis passe l’arrosoir ».

« J’ai mis longtemps à comprendre qu’en politique quand on disait oui, ça voulait dire : ‘‘Va te faire foutre’’»

La vocation de ce touche-à-tout dont on dit qu’il a dix idées à l’heure remonte à ses années d’études strasbourgeoises, « de très longues vacances où on faisait semblant d’aller à la fac », passées en concerts et en soirées plutôt qu’à la BNU. « À Mulhouse, on trouvait que c’était un peu mort. Avec Jean-Marc Henni ( Journal des Spectacles) on a créé Bistrot, un fanzine recto verso « pour annoncer ce qui se passe ». Penser, c’est agir. Médias et rock fascinent JLW.

« Ce qui me motive c’est de réunir des gens »

On le trouve dans Radio Fréquence Mulhouse, à Dreyeckland Colmar, et aujourd’hui sur « la radio libre associative » internet MNE qu’il a créée, chez Radio Coteaux Expérience, et dans l’éducation aux médias que porte depuis 2005 l’association Old School auprès des lycéens. « L’idée c’est de leur faire comprendre la différence entre publicité, communication, et information. Aujourd’hui l’éducation passe aussi par l’éducation aux médias ».

Les médias et le rock. En 1988, Wertenschlag organise depuis Mulhouse une improbable Fédération pour la Maison du Rock. « Mais j’ai mis longtemps à comprendre qu’en politique quand on disait oui, ça voulait dire : « Va te faire foutre ! ». Du coup les rockeurs mulhousiens tapent de la Gibson sur la table et organisent un concert sauvage devant la mairie avant d’inaugurer La Filature, encore en chantier, avec un concert pirate des Casse-Pieds.

Wertenschlag sera ensuite, avec d’autres, à l’origine de la Fédération Hiéro («en hommage au Hiéroglyphe de Tom et Arty, sorte de Canard Enchaîné local ») qui aboutira en 1992 à la création du Noumatrouff. Un Nouma sur lequel il nourrit quelques regrets : « Au départ dans notre esprit ce n’était pas seulement une salle de rock. C’était un véritable lieu alternatif : on voulait une crèche, du théâtre, des expos, de la BD ». Il en tire un enseignement qui vaut toujours aujourd’hui : « Quand on est précurseur, on est souvent rattrapé par l’institution, c’est la logique des choses. Ce n’est pas grave, il y a toujours quelqu’un derrière qui réinvente quelque chose ». L’essentiel est de garder une longueur d’avance sur les récupérateurs qui transforment les utopies associatives en services à la population ou en business. L’agitateur culturel au look d’adolescent attardé mûrit : qu’importent les apparences, ce qui compte c’est le sens qu’on donne aux choses. La page Nouma est tournée sur un retentissant flop financier (la gestion l’ennuie mais il a appris à s’entourer) et Jean-Luc Wertenschlag passe à la naissance de nouveaux projets. « C’est ce qui me motive, réunir des gens, rassembler des personnes différentes, inventer de nouvelles formes, investir des lieux sortant de l’ordinaire ».

M. et Mme JLW ont le plaisir de vous annoncer la naissance de…

On le trouve en 2006 à Bergheim dans le vide culturel d’un vignoble où on préfère refaire le toit de l’église que d’investir dans la culture. « On y a lancé un festival jeune public, Louftibus en 2006 sur l’idée de la transmission parents-enfants et enfants-parents ». Il participe à la naissance de C’est dans la vallée, à Sainte-Marie-aux-Mines.

Avec Old School, avenue Kennedy, il poursuit cet inlassable travail d’essaimage, convaincu que la culture et les rencontres font tomber les préjugés et améliorent la vie. C’est l’idée de la Bibliothèque vivante présentée lors du dernier Tout Mulhouse lit, où des gens réservés comme des livres racontent leur existence. Et pourquoi pas l’élargir à un imam ? propose-t-il. Et pourquoi ne pas utiliser des Mulhousiens venus des quatre coins du monde pour faire la promotion du territoire plutôt que d’envoyer en Chine des chargés de mission ?

Derrière un caractère d’ours grogne un authentique amoureux de Mulhouse. Avec La Vitrine, il en défend les artistes et créateurs en lançant fin 2012 le Système Mulhousien de Surprises, sorte d’Amap culturel destinée « à transformer en réalité économique la créativité locale ». « Cette ville au potentiel incroyable que Strasbourg et Colmar n’auront jamais, ce côté je rentre dedans, j’invente, cette énergie populaire », s’enflamme-t-il, revendiquant au passage la préfecture et la capitale régionale.

Un passionné de Mulhouse

Dans une ville disparate et bariolée, l’important est de se parler. « La politique, la religion, sont des tabous dans le monde associatif. Mais lorsque les associations ne peuvent plus dire de mal des collectivités qui les subventionnent c’est la fin de la démocratie. Si on laisse le monopole de la liberté d’expression au FN, c’est triste : il faut s’emparer des sujets : c’est la vie de la cité. »

Déjà candidat sous l’étiquette « les Femmes et les enfants d’abord puis aux législatives 2012 sous la bannière du Parti Pirate, JLW n’exclut pas de venir bousculer la partie de cartes municipale en 2014. Les jeux, il s’y connaît, Old School a créé son propre Mistigri. Et des idées il en a. « Refuser la piétonnisation de la rue de l’Arsenal est une erreur, avoir fermé la maison des artistes de la rue de Thann aussi, faire un rond-point à 2 m€ à l’écluse de Riedisheim et dire qu’il n’y a pas d’argent pour l’extension du tram, je ne suis pas d’accord ».

Finalement ce qui l’intéresse, c’est de changer le monde. « Je ne vois pas ce qui peut faire avancer autant que ça, c’est la seule chose intéressante sur Terre dans sa vie professionnelle et associative ». Et changer le monde, ça commence par Mulhouse.

Grégoire Gauchet • DNA du 9 février 2013 • www.dna.fr

Du «Fabrique toi-même ta salle de concert» au «Comment créer sa radio associative», le kit Jean-Luc Wertenschlag, adepte du « Faites-le vous-même », vu par son ami et compagnon de route, le dessinateur Joan.


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